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Au nom de quoi dirions-nous qu’une autre espèce que l’humain serait dépourvu des attributs du langage ?

Et, dans ce cas, que signifie le “je” lorsqu’il est émis par une machine ?

C’est au nom d’une volonté de comprendre ce qui nous entoure et alimente l’actualité que je suis allée rencontrer ChatGPT. ChatGPT est, à mes yeux, une invention ingénieuse de l’homme, mais qui ne peut le remplacer sur aucun plan de la vie psychique ou créative. L’homme aura toujours besoin d’écrire, de lire, de créer, de résoudre des problèmes… autrement dit, d’être pourvu de pulsion et de sublimer

En société, le sujet fascine. J’ai entendu :

– « Plus besoin de se prendre la tête pour écrire une lettre de motivation. »

– « Je vais perdre mon travail si je n’apprends pas à travailler avec ChatGPT. »

– « Ça m’aide à créer. »

– « Te prends pas la tête, demande à ChatGPT de te le faire. »

Ces affirmations ont un point commun : elles reposent sur une illusion, un fantasme — celui que la machine puisse remplacer ou soulager une production intellectuelle. ChatGPT ne peut pas remplacer une pensée incarnée. Ce n’est pas, à proprement parler, une rencontre : il répond à une commande, non à une demande. Il ne se met pas à l’écoute d’un désir, il exécute un programme.

J’ai testé l’outil : les échanges furent limités. La richesse informative est indéniable, mais elle est de l’ordre d’une immense encyclopédie. De la même manière qu’un pinceau ne remplace pas l’artiste, ChatGPT n’est que le reflet de ce qu’on lui commande. Il ne produit pas la trouvaille ; il restitue.

D’ailleurs, ce que j’ignorais lors de notre première rencontre, c’est que l’outil se façonne à l’image de celui qui s’en sert. Si c’est une autre personne que moi, il apprendra autre chose, parfois plus intelligent, parfois moins, mais toujours selon ce qui lui est donné. Même en faisant son possible, il reste tributaire de l’usage que l’homme en fait. La capacité de résonner et d’inventer demeure humaine.

Ce qui déroute, c’est que les réponses sont formulées à la première personne, ce « je » qui entretient le fantasme d’un équivalent humain. Pourtant, ChatGPT le rappelle : il n’a pas de jugement propre, seulement des algorithmes sophistiqués organisant des données. Il n’est qu’un média, un outil.

Le jour où une intelligence artificielle pourra rêver, faire des lapsus, associer librement ou fantasmer, nous tiendrons quelque chose de véritablement inédit. Pour l’instant, nous savons déjà que les animaux peuvent penser, rêver, conserver des traces de vécu ou de traumatisme — sans pour autant prendre notre place. La place ontologique de chacun demeure.

Les enseignants offrent ce que la machine n’a pas : le langage vivant. Les artistes produisent ce que rien ne peut reproduire : la sublimation. Le psychanalyste, lui, ne se laisse pas remplacer par un protocole statistique : il prête ses oreilles, sa langue maternelle, sa connaissance des symboles et son accès au réel pour entendre ce qu’un patient ne s’entend pas dire. Une machine n’a pas d’oreille — un micro et des écouteurs ne sont ni une bouche ni une oreille.

Le désir et la souffrance sont nécessaires au travail et à l’apprentissage. Supprimer toute forme de contrainte reviendrait à supprimer le désir même. La création, qu’il s’agisse d’une lettre de motivation ou d’un roman, implique un passage par la difficulté, l’échec, la page blanche. Un désir sans contrainte s’éteint.

Si l’IA « mâche le travail », elle peut donner une réponse immédiate, mais pas le progrès. Aucun acquis n’existe sans obstacle à surmonter. Les nourrissons le montrent : c’est dans la frustration et le jugement que se construit l’équilibre du Moi.

Ainsi, même un professionnel du marketing utilisant ChatGPT ne sera performant que s’il pense et invente par lui-même. Il y aura toujours une différence entre deux travaux, et cette différence est la trace irréductible de l’humain.

ChatGPT demeure un excellent média, capable de s’affiner avec l’usage. Il s’adapte à son utilisateur, se forme et se transforme dans le temps. Il est aussi accessible à tous, sans discrimination liée au handicap : c’est un progrès réel.

Mais ChatGPT n’est pas un langage : c’est un codage. Or, le langage — qu’il soit parole ou création — engage le réel, l’imaginaire et le symbolique. L’outil n’a pas d’inconscient : le mot n’a pour lui que la signification programmée.

Ainsi, ne nous alarmons pas : un tel logiciel ne remplacera pas l’homme, sauf si l’homme renonce lui-même au langage et à la recherche de vérité que l’on trouve dans l’erreur, l’échec, la poésie.