La parole et le langage sont-ils indissociables?
Plus que des concepts, la parole et le langage, sont de véritables outils au regard de la psychanalyse. Pour les définir voici la définition du Larousse: “Le langage, nom masculin, capacité, observée chez tous les hommes, d’exprimer leur pensée et de communiquer au moyen d’un système de signes vocaux et éventuellement graphique”(1) et “la parole, nom féminin, faculté de s’exprimer par le langage articulé”(2). La parole est donc un des supports possibles du langage, tout comme l’écriture, la musique, la peinture, le langage des signes, les rêves…
L’enfant sauvage de l’Aveyron
Jean Marc Itard publie en 1828 un mémoire sur le mutisme produit par la lésion des fonctions intellectuelles. Chirurgien de formation et rattaché à l’institut national des sourds-muets, on lui confie l’éducation d’un enfant sauvage trouvé dans l’Aveyron.
En 1828 ce qu’on appelle « lésion des fonctions intellectuelles » n’a rien d’une pathologie organique. C’est ainsi que l’on catégorise ces lésions en 5 catégories : l’idiotie, la manie, la monomanie, la stupidité et la démence. Pour plus de précisions, je vous renvoie à l’article d’Etienne Georges « De la folie » (1820). Les causes, selon si on est du Royaume Uni ou de France peuvent être l’hérédité ou une déformation voir coloration du cerveau.
Education cognitive par imitation
Itard nous explique la stratégie qui serait à adopter pour apprendre la parole (et non le langage) à un sujet qui “manque d’intelligence”. Par intelligence, il entend la capacité de communication et la facilité à s’adapter à notre société du XIXème siècle. Il compare la méthode utilisée pour les sujets « souffrants de débilité » ou « imbéciles » à celle des pays « peu civilisés ». Aujourd’hui, cela semble grossier. Mais à l’époque pour un homme de science, les travaux par lesquels était acquise la connaissance reposaient là-dessus. Ne le blâmons pas davantage car son échec avec l’enfant sauvage à tout de même permis d’élever la pensée vers tout autre chose.
A la lecture de l’article, on note qu’une éducation cognitive et par imitation ne suffit pas pour acquérir la parole. La langue porte donc autre chose que du vocabulaire et de la syntaxe. L’auteur compare la débilité des peuples « peu civilisés » à celle des enfants souffrants d’un handicap de communication au XIXème siècle. Mais le seul argument, de dire que nous aurions été, nous aussi, les débiles de ces peuples car l’étrangeté des manières et l’incapacité de vivre sans une communication amputée parmi eux était réciproque, suffit.
La communication repose sur autre « Chose »
Autrement dit, on parlerait de débilité pour signifier ce que nous ne comprenons pas chez l’autre – ce qui fait le réel du sujet. S’il est difficile de changer de langue, ou d’en apprendre une autre c’est bien que la communication repose sur autre « Chose » d’un peuple à un autre. Par autre « Chose », je veux dire un autre « socle » porteur d’émotions, de symboles et d’interdits. Des points de capteurs différents.
De la même manière, si on pousse ce raisonnement il convient de comprendre qu’un handicap de communication et d’interaction avec l’autre, comme c’est le cas chez l’autiste, ne peut se résoudre par le dressage comportemental. Autrement dit, cela n’a rien à voir. Ainsi, plutôt que de forcer l’éducation à notre norme sociale et/ou personnelle il convient mieux de s’intéresser à la « langue maternelle » (au sens lacanien des termes) de quelqu’un pour le comprendre et donc ouvrir une possibilité de communication.
Loin de moi la prétention d’ouvrir sur la proposition concrète d’une autre méthode à l’efficacité indiscutable. Là où je veux en venir c’est que le langage et la parole qui le porte, ont une toute autre dimension. Une dimension supplémentaire à ce qui est de l’ordre du cognitif, et essentielle à utiliser. On peut donc être sur-diplômé et avoir des difficultés d’apprentissage d’une langue étrangère ou même à s’intégrer dans une entreprise.
A l’inverse, on peut manquer d’éducation mais être polyglotte et socialement habile. Pour conclure, je dirais que la part de symbolique et d’imaginaire que porte la langue est toute aussi importante que le bon fonctionnement de la machine corps, organique et cognitive pour en avoir l’usage. Et cela n’est pas accessible de la même manière à tous.
Comme Olivier Douville le dit « savoir parler une langue c’est en connaître les symboles et les tabous ».